La financiarisation de l'économie française au pas de charge.
A la faveur de la crise de la dette française qui a assuré principalement les frais de fonctionnement de l'Etat, nous nous trouvons dos au mur face aux instances financières internationales. Après la crise des sub-primes en 2008 , puis la désertification industrielle de la France qui s'intensifie ces dernières années, nous retrouvons avec toujours moins de recettes mais avec toujours plus de dettes.
Une situation inconfortable qui s'accélère sous la conjonction d'une part du caractère obstinément fort de l'euro qui sape la compétitivité des entreprises exportatrices françaises et d'autre part de l'extension des accords de libre échange entre blocs continentaux comme l'accord transatlantique entre l'Europe et les Etats-Unis qui est sur le point d'aboutir. Nous ne sommes plus aussi compétitif ni sur le plan commercial ni sur la performance de nos services publiques par rapport au reste du monde.
La financiarisation représente également une trappe de liquidité pour de futurs investissements. En effet je m’appuie sur la comptabilité nationale, et plus particulièrement sur le compte des « sociétés non financières » (SNF) (en ligne sur le site Insee dans la rubrique Thèmes, puis Comptes nationaux, puis Comptes nationaux annuels, puis Secteurs institutionnels, puis Entreprises non financières, puis Sociétés non financières), que, moyennant quelques modifications, je cherche à rapprocher de la comptabilité privée des entreprises, et notamment du “résultat net comptable” (le bénéfice après impôts).
Le chiffre obtenu est donc une approximation satisfaisante de ce que gagnent l’ensemble des sociétés non financières. Evidemment, il s’agit d’une grandeur qui masque les différences d’une société à l’autre. Mais c’est justement l’avantage de la comptabilité nationale : elle nous donne une vue d’ensemble, au lieu de s’attacher à des cas particuliers (comme les sociétés du CAC 40 par exemple) qui ne sont pas forcément représentatifs. Jusqu’à la fin du siècle dernier, les sociétés non financières faisaient deux parts : la première (représentant à peu près les deux tiers de ce résultat) était versée à leurs actionnaires, le reste servant à investir ou se désendetter.
Depuis une petite dizaine d’années, elles versent la quasi-totalité de leurs bénéfices nets aux actionnaires. Le tableau ci-dessous résume l’essentiel des résultats, exprimés en milliards d’euros. Pour le comprendre, il suffit de savoir que le “résultat d’exploitation” désigne ce que l’entreprise retire de son activité de production, le “résultat financier” désignant les recettes et dépenses (produits et charges dans le langage de la comptabilité) résultant de ses dettes et de ses avoirs, le “résultat exceptionnel” provenant d’éléments antérieurs ou à venir qui ne devraient pas se renouveler (par exemple, une indemnité d’assurance suite à un dommage, une amende suite à un contrôle Urssaf, une indemnisation imposée par un tribunal suite à un licenciement estimé abusif, une subvention d’investissement, etc.). Le résultat net est la somme de ces trois résultats moins le montant des impôts sur les bénéfices.
Ce nouveau partage amène même à ce que, certaines années (2005, 2006, 2009), les sociétés distribuent plus qu’elles ne gagnent. Comme si, pour satisfaire leurs actionnaires, éviter que certains d’entre eux se tournent vers d’autres placements, la distribution de dividendes élevés et stables était devenue une contrainte. Au fond, et en exagérant à peine, les actionnaires qui portaient le risque s’en sont défaussés, exigeant des “retours sur placement” assurés.
Ce n’est pas la seule information de ce tableau. Le résultat d’exploitation est désormais devenu inférieur au résultat financier : les sociétés gagnent plus grâce aux placements, participations ou filiales qu’elles détiennent que par leur activité productive. Ce qui explique sans doute qu’elles visent à distribuer des sommes élevées et aussi stables que possibles, car elles en profitent en retour, par le biais de leurs filiales ou participations. Le résultat financier était jusqu’ici un sous-ensemble mineur de leur activité. Il est devenu désormais un élément majeur. Bien entendu, cela vaut surtout pour les “holdings”, ou têtes de réseaux : la société PSA, par exemple, elle qui est cotée en Bourse, compte une quarantaine de salariés, mais elle centralise les résultats de centaines de filiales, qui comptent plus de 100 000 salariés.
En France les nécessités de financement et l'appel aux capitaux internationaux se sont traduits par la réforme du marché financier qui a fait l'objet d'une déréglementation. Il s'agit d'encourager l'épargne en titres (obligations et actions) sous forme d'exemptions fiscales (Plan Delors de 1982). Un second marché est créé en 1984. Mais surtout il s'agit des réformes de 1984-1985 avec la simplification de l'accession au marché obligataire et la possibilité pour les entreprises d'émettre du papier commercial. Le MATIF est créé. L'investissement étranger qui est facilité par la levée progressive du contrôle des changes entre 1984 et 1990 est libéralisé, le financement obligataire est de plus favorisé avec une loi supprimant en 1984 l'impôt sur les intérêts payés par les investisseurs non résident. Le marché des eurofrancs est réouvert en 1984, et les entreprises peuvent ainsi émettre des obligations libellées en francs hors de France. Les entreprises sont autorisées à acheter des produits dérivés.
L'ingénierie financière a été mise à contribution pour développer des formes de dette qui confèrent au détenteur de la dette des pouvoirs qui sont ceux normalement de l'actionnaire, avec un degré moindre de risque et une rémunération qui bénéficie d'un traitement fiscal beaucoup plus favorable.
Par ailleurs la désintermédiation a transféré une part importante du rôle de financement aux marchés financiers. Les opérations de financement se font sur les marchés et les capitaux fournis ne résultent pas de la transformation de dépôts collectés par les banques.
La situation ne pourra pas perdurer indéfiniment et je pense que le dénouement est proche où des choix drastiques vont s'opérer:
Primo, c'est probablement une purge dans les effectifs du service public qui risque de s'opérer avec une baisse drastique des prestations sociales en tout genre .
Secundo, le régime de retraite par répartition sera mis en cause à la faveur du régime par capitalisation (qui ne concernera sans aucun doute que la classe aisée).
Avec une population vieillissante , ces mesures seront-elles suffisantes sans envisager des solutions plus radicales comme d'entamer le patrimoine de l'Etat ou l'épargne des français ?
L'exemple chypriote a marqué à cet égard certains esprits.
J'imagine la possibilité d'un triste scénario en France pour les années à venir qui me semble assez plausible finalement:
La vente de châteaux de la Loire à de riches milliardaires par exemple me semble plus une option aussi farfelue que quelques années auparavant.
Ce recul net du service public sera substitué par des instances financières (banques , assurances ,mutuelles) proposant des assurances pour ceux qui en ont les capacités financières.
Cette monétisation du service social qui va progresser aura des répercussions sociales importantes . La société française va devenir plus dure à l'instar de la société brésilienne ou américaine. Le fronton inscrit sur toute les mairies "Liberté, Fraternité , Egalité" sera plus que jamais un vœu lointain et pieux. Désormais une couche sociale nommée "l'hyperclasse" vit à des années lumières du reste de la population et se considère avec une certaine ironie comme citoyen du monde , cosmopolite et apatride.
C'est elle qui déterminera plus que jamais les grandes orientations de la société française.
Par la pression des lobbies économiques , le jeu électoral restera complètement une pure simagrée des principes démocratiques. De la démocratie , il en restera que le nom abandonnée aux forces occultes d'intérêts financiers internationaux. Ce ne sont plus des réunions collégiales démocratiques qui dicte la loi mais celle des marchés avec les institutions internationales qui joue leur rôle régulateur (sic).
La concurrence économique tout azimut va dans un premier temps tirer les salaires vers le bas au point au point que l'on pourra établir un jour une grille de salaire par compétence valable sur tout les continents. il s'ensuit dans les faits un capharnaüm social livré aux chaos et aux aléas des humeur boursières.
Cependant une contradiction formidable va se faire jour : comment résorber un chômage sans cesse croissant au nom du saint principe de rentabilité ?
Comment assurer la pérennité d'une société fondée sur l'inégalité des ressources et du travail? Comment va t'elle survivre si le culte de l'individualisme forcené permet toujours plus de consommation ?
Enfin comment va s'établir la solidarité mondiale quand il faudra affronter la menace de l'effondrement des écosystèmes et des ressources primaires de plus en plus rare ?
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