La théorie des rumeurs et internet
J'écris cet article car il est très difficile actuellement de faire un tri dans l'amas d'informations qui circulent sur Internet . Aussi je vous propose d'éclaircir le rôle fonctionnel et social de la rumeur et dans son prolongement la théorie du complot qui s'y rattache.
Qu'est-ce que la rumeur ?
Le mot rumeur vient du latin "rumor" qui signifie "bruit vague, bruit qui court, nouvelle sans certitude garantie". La rumeur est sans doute le plus vieux média du monde. Elle semble promise à un bel avenir, même dans les sociétés apparemment les plus avancées et les plus rationnelles. Les nouveaux canaux de communication - médias de masse, Internet - lui donnent aujourd'hui une folle vitesse de propagation. Certains thèmes typiques reviennent régulièrement : empoisonnement alimentaire, crimes sexuels, complots en tous genres, violences urbaines, "techno-peurs"... Enfin, la rumeur est boulimique ; elle s'alimente de tout ce qui passe à côté d'elle. Comment l'identifier, la contrôler et la canaliser ? Et pourquoi nous interpelle-t-elle tous ?
Certains spécialistes voient en la rumeur le plus vieux média du monde et pourtant elle n'apparaît qu'au XXe siècle comme concept scientifique. Elle est mentionnée pour la première fois en 1902, dans une étude réalisée par le psychologue allemand William Stern sur la psychologie du témoignage dans les affaires judiciaires. Bien sûr, depuis que l'humanité parle, les on-dit circulent, et pas seulement de bouche à oreille. L'apparition progressive d'autres moyens de communication (l'écriture, la presse, le cinéma, la radio, la télévision, Internet...) a fourni des relais autrement plus puissants que la seule parole à ces bruits qui courent. Les médias, friands de rumeurs tout en les brocardant, les propagent souvent plus qu'ils ne les combattent. C'est l'effet boomerang. Ainsi, quand Isabelle Adjani est venue, accompagnée de son médecin, démentir en direct à la télévision sa maladie, le nombre de personnes informées de la rumeur a plus que triplé (de 15 à 48,5 millions)..., ainsi que le nombre de ceux qui y croyaient (il est passé de 3,5 à 13,5 millions) !
Nombre de chercheurs ont tenté de donner une définition du phénomène. La tâche n'est pas simple tant l'objet est difficile à délimiter. Où finit la rumeur et où commence l'information ? Les modes de propagation de l'une et de l'autre ne sont-ils pas finalement semblables ? Difficile aussi d'échapper aux stéréotypes péjoratifs et à l'analogie avec la calomnie ou le bruit irrationnel. Pourtant, quand « 67 % des salariés français déclarent découvrir généralement les problématiques relatives à leur société par la rumeur », comme le mentionne Douglas Rosane, directeur d'un cabinet-conseil en ressources humaines, on peut y voir un palliatif logique à une mauvaise communication de la part des dirigeants . La rumeur inquiète surtout par son côté incontrôlable. Mais le contrôle est-il souhaitable ? Durant la Seconde Guerre mondiale, les psychologues américains Gordon Allport et Leo Postman ont mis en place des « cliniques de rumeurs » pour contrer la propagande du IIIe Reich. Conçues comme des standards téléphoniques recevant les appels des citoyens inquiets, elles se sont révélé être finalement des postes avancés des services policiers et du renseignement, puisque c'est de ceux-ci qu'elles tiraient la plupart de leurs démentis. « En des mains moins scrupuleuses, sur des périodes plus longues, ne verrait-on pas apparaître cette "police de la pensée" ou le "ministère de la Vérité" tant redoutés des romanciers comme George Orwell ? », s'interroge Pascal Froissart .
Les derniers travaux parus essaient donc de s'affranchir d'une définition unique et globalisante du phénomène. La rumeur reste donc à bien des égards un objet social non identifié. Certains s'intéressent toutefois à ce qu'on peut considérer comme la partie noble de l'objet, les légendes urbaines, « les anecdotes de la vie moderne racontées comme vraies mais qui sont fausses ou douteuses », selon la définition des sociologues Véronique Campion-Vincent et Jean-Bruno Renard . Né dans les années 1970-1980 parmi les folkloristes américains et les sociologues, le concept est aujourd'hui entré dans le domaine public. D'autres, comme le sociologue Philippe Aldrin, s'intéressent à un type particulier de rumeurs, comme les rumeurs politiques , ou tentent de définir la rumeur de façon pragmatique par l'usage que l'on en fait.
Une chose est certaine en effet, c'est que la rumeur circule partout et qu'elle remplit une fonction de liant dans les relations de sociabilité entre les personnes.
Internet et les rumeurs
Il est difficile de mesurer la part des rumeurs dans le nombre total de nouvelles qui circulent. Il me semblerait étonnant qu'un média ou un moyen de communication concentre plus de rumeurs qu'un autre : la télévision, la radio, la presse véhiculent tous des rumeurs (volontairement ou non), et Internet... autant que les autres. La question mérite néanmoins qu'on s'y arrête. Internet présente en effet une véritable spécificité, qu'on peut étudier sous trois angles : le Web se distingue par l'extension géographique qu'il donne à toute information, puisqu'il opère à l'échelle de la planète. Il se distingue également par l'extension temporelle : la transmission d'une nouvelle est quasi instantanée. Enfin, par sa capacité de stockage considérable, le Web induit une véritable extension mémorielle : tout semble consultable, en tout lieu, et en tout temps. Il devient possible de faire des recoupements, des enquêtes, bref, de jouer au détective ou au journaliste en chambre. Le texte d'une rumeur se retrouve en quelques clics. Nuançons néanmoins ces particularités : ce n'est pas parce que la possibilité existe que l'on s'en sert ! La plupart des gens ne vérifient pas une information avant de la rendre publique...
il existe désormais des sites spécialisés qui référencent et valident (ou non) les rumeurs. Ces sites ont existé avant même la création du World Wide Web. Dès 1991, des informaticiens de la Silicon Valley, fous de bonnes histoires, avaient mis à disposition des fichiers FTP (l'espace d'échange qui a précédé le Web) sur ce qu'ils appelaient des « légendes urbaines ». Quatre ans plus tard, en 1995 apparaissent les premiers sites de référence sur la rumeur. L'un est hoaxbusters.ciac.org (dont le nom inspirera le site français ouvert en 1999), créé par un informaticien du ministère de l'Energie américain qui constate qu'il passe plus de temps à réparer les dommages causés par les rumeurs (« Vous avez été infecté par un virus, formatez votre disque dur ! ») qu'à s'occuper des problèmes informatiques réels. L'autre est snopes. com, le site de référence qui domine actuellement.
On consulte en effet les sites de référence autant pour chercher des émotions que des informations. Dans tous les cas, ça marche : l'audience des sites comme snopes. com aux Etats-Unis ou hoaxbuster.com en France est supérieure à certains sites d'information financière par exemple ! L'autre particularité, qui laisse songeur, c'est qu'aucun de ces sites n'est officiel ou même professionnel. Ils sont tous animés par des bénévoles, sans formation particulière, avec des moyens d'investigation limités. Dans l'avenir, cela posera inévitablement une question sur la légitimité de leurs informations, les manipulations possibles de la part de services gouvernementaux ou de grandes entreprises pour faire passer leur message en sollicitant la vénalité ou la naïveté des animateurs.
Conclusion :
La question des rumeurs connaît depuis le début des années 1990 un réel regain d’enthousiasme scientifique dont témoigne la parution de nombreux ouvrages et articles traitant exclusivement de ce phénomène social ou de phénomènes connexes1
. Devant cette affluence de publications, on est d’abord frappé par la curiosité nettement multidisciplinaire que suscite le phénomène. À la lecture, ces publications appellent une deuxième remarque : bien que divergents, tant par leur posture que dans leurs conclusions, une bonne part des travaux présentés ont pour point commun de subvertir le traitement scientifique « traditionnel » des rumeurs.
L’approche proposée par certains auteurs s’affranchit en effet clairement des cadres paradigmatiques qui ont prévalu jusque)là pour penser cet objet. Un demi siècle après les travaux de Gordon Allport et Leo Postman que la tradition sociologique tient pour « fondateurs » , ces derniers éclairages offrent donc l’occasion de rouvrir la discussion sur les certitudes théoriques largement répandues dans les sciences sociales sur la question.
Pour plus d'information sur la théorie des rumeurs , je vous propose d'écouter le cours public donné par Sylvain Delouvée, maître de conférences en psychologie à l’Université Rennes 2, permet de se plonger dans ce phénomène avec détails :
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