Vers une société trop efficiente et trop rationnelle ?
Le chômage structurel des pays industrialisés n'est pas prêt de diminuer sensiblement à moins qu'il y ait un pacte social inédit répartissant la richesses et les tâches entre les hommes.
Compétition économique oblige, les grandes entreprises et les institutions sont priées d'augmenter la productivité du travail.
Ce phénomène n'est pas nouveau depuis la révolution industrielle de l'Angleterre au XVIII siècle : le chômage n'étant qu'une variable d'ajustement pour les libéraux , la main d'œuvre dégagée est réallouée à d'autres taches de travail à plus ou moins longue échéance.
Mais cependant à l'aube de la révolution de l'informatique dite intelligente et de la numérisation de plus en plus poussée des activités et de la production de notre société, il est à craindre que le volet, le fond structurel du chômage augmente dans des proportions importantes , voire très importantes car aucune activité ne sera protégée de la révolution numérique à venir.
Les progrès de la productivité ont surtout bénéficié au cours des deux derniers siècles traditionnellement au secteur primaire ( secteur agricole, extraction minerai....) et au secteur secondaire (industrie de transformation).Le secteur des services a également bénéficié des gains de productivités mais dans une moindre mesure que les deux premiers secteurs cités.
On pourrait distinguer deux types de services dans le secteur tertiaire ; les services orientés vers la personne ( aide , médiation , conseil etc..) et les services orientés vers la gestion des biens sociaux et économiques (administrations, banques ,entretien etc..). C'est ce dernier secteur qui va connaitre un bouleversement productif très important dans les années à venir.
En effet avec l'avènement de certaines percées technologiques informatiques , tout un pan de l'activité professionnelle risque d'être profondément modifiée.
A savoir :
- Arrivée à maturité d'outils décisionnels très performants (Big Data ou data mining)
- Percées théoriques et pratiques dans l'apprentissage automatique (Deep Learning)
- Numérisation des activités humaines par la multiplication des appareils connectés sur soi ( lunettes,montres ,smartphones)
- Centralisation de l'information par des organes divers (instituts , multinationales...)
- multiplication de capteurs nanotechnologiques quasiment gratuits dans le milieu urbain
Cette conjonction de la numérisation de nos actes de la vie quotidienne avec la capacité d'interpréter et de traiter les informations de manière systématique aura des répercussions inévitables sur la perception d'appréhender notre monde , notre manière de vivre et de penser.
On oublie souvent que l'irruption de quelque invention que ce soit a des conséquences sociales importantes : le thème de la fracture numérique entre ceux qui peuvent en bénéficier ou pas , participer ou pas à la vie sociale, qu'est qu'il permis de faire ou pas vont devenir des enjeux cruciaux pour maintenir une cohésion sociale acceptable.
Quelques tendances de fond sur l'émergence de nouvelles pratiques sociales peuvent toutefois se dessiner si on parie sur l'adaptation des populations aux nouvelles donnes technologiques.
Il faudra s'habituer à une société plus ouverte sur le partage des richesses .Etre au chômage ne relève plus d'un sujet tabou , traité comme une maladie honteuse car il n'y aura pas du travail pour tout le monde , ni même espérer accéder à des postes exigeants avec un très bon niveau de formation. Etre actif c'est travailler pour plusieurs personnes et cela suppose sans aucun doute une ponction (sous forme d'impôts) proportionnellement plus important qu'avec le salaire initial. Historiquement le niveau d'impôt ne va pas baisser mais plutôt augmenter car il faudra faire vivre une proportion plus large d'inactifs.
Par ailleurs une pression sociale plus forte s'exercera sans doute chez les plus nantis pour un code de bonne conduite , où préfigure une charte bioéthique nécessaire pour la survie de la communauté. En effet les riches ne pourront plus se conduire comme bon leur semble car on est entré dans une société "transparente" au niveau des pratiques de chacun , le rôle des médias jouant un rôle prépondérant. A la faveur de l'émergence des nouvelles technologies de l'information , il ne sera moins possible de se cacher de pratiques répréhensibles à l'ensemble de la communauté.
La notion du service et de biens d'utilité public sera sans doute réhabilitée car il sera difficile d'ignorer son voisin et son environnement proche :l'information est là , disponible à tout moment et visible.
Si cette évolution adaptative du corps social ne se fait pas correctement , il est probable que cela débouche sur des insurrections de plus en plus violentes comme on peut le soupçonner dans les favelas des grandes villes de pays qui n'a pas encore maitrisé sa croissance ou son évolution. Les inégalités grandissantes en Europe ne seront d'autant plus supportable que la population se remémore encore d'une cohésion sociale traditionnellement plus harmonieuse.
Est que l'individualisation avec pour corollaire la solitude et la consommation de masse va poursuivre son évolution ou au contraire fournira un début d'inflexion vers des gestes plus communautaires ? La globalisation croissante des biens et services , l'information omniprésentes , les défis environnementaux tendraient à nous faire penser à un possible retour aux valeurs collectives et responsables.
Cependant les âpres souvenirs du communisme stalinien constituent un frein non négligeable pour les populations devant l'acceptation d'un possible partage sur des notions plus larges de biens commun de l'humanité.
D'autre part , pour ceux dont la réussite est patente, considèrent à tort ou à raison que la réussite matérielle se mérite individuellement et à ce titre il devraient jouir des fruits de leur labeur et décider eux seuls des biens dont ils disposent oubliant au passage qu'ils ont aussi bénéficié d'un certain nombre de services et biens commun.
Certainement le corps social va se définir entre ces deux extrêmes mais il doit faire vite sous peine d'implosion. Les croyances et les coutumes sociales voire archaïques vont devoir être revisitées sinon une schizophrénie grégaire risque de nous emparer avec de possibles dislocations du corps social en sous-groupes rivaux. Comment en effet espérer une vie meilleure dans un monde parfaitement clos et sans âme ?
Trop souvent, il est frappant de constater que le cosmopolite se comporte comme un vrai petit chef d'entreprise qui rationnalise son temps et son argent dans les moindres détails de sa vie privée. Se prend-il ou se prétend il comme le chainon automatisé de sa vie qui règle les problèmes personnels avec méthodes et assiduité tel un robot? Constamment assistés par les artefacts technologiques , cette rationalisation à outrance nous amènera une vie in fine assez terne faite de mal être et de désespoir c'est à dire une vie sans espoir.
La virtualisation d'un monde devenu extrêmement quantifié doit être contrebalancé par une perception subjective et créative de l'être humain qui doit donner sens et chair à sa vie.
Sans doute que la rédemption de l'homme passera par l'acception du caractère irréductible et irrationnelle de ses rêves, de ses désirs et de ses aspirations .
Une des taches les plus nobles de l'homme n'est pas dédié finalement à l' expression artistique et corporelle de son être , à ce qu'il a de plus tendre ou de plus fort ?
Bien qu'André Malraux n'en revendique pas la paternité , j'aime entendre dire que le XXI siècle sera spirituel ou pas.
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