Migre t'-on vers un modèle de société anarchique imaginé par Proudhon ?
Nous constatons tous les jours les prémisses toujours plus nombreuses d'une "anarchie" ambiante. Une part non négligeable de citoyens français ont le sentiment que le pouvoir exécutif se délite pour diverses raisons : corruptions, compromissions trop grandes avec tel lobby, incompétences réelles ou supposées etc..Il est à noter que ce sentiment dépasse largement le cadre de nos frontières.
Quelles en sont les conséquences sur le plan de la politique française ?
Deux phénomènes apparaissent de manière concomitante dans l'électorat français: une abstention toujours plus élevée et la montée irrésistible d'un parti qui incarne l'ordre à savoir le mouvement de Marine Le Pen. J'ai omis volontairement le qualificatif "d'extrême droite" car à mes yeux cette connotation déclenche des passions peu favorables à la réflexion et exclu de facto 30 % au moins de électorat français !
Ces deux tendances risquent de se renforcer mutuellement pour des raisons historiques et sociales :
Les électeurs qui s'abstiennent de voter ou qui votent "blanc" sont en réalité des anarchistes politiques qui s'ignorent. Ils prennent acte que le gouvernement en place à peu d'influence dans la vie publique et aucun parti politique représentatif ne correspond à leur attente. Amèrement ou par volontarisme lucide , ils constatent que les élus en place ne pourront rien faire en leur faveur. Pour cette catégorie d'électeurs, Ils ont intégré que l'amélioration de leur vie quotidienne se trouve entre leurs mains et non par une autorité institutionnelle ou politique.
A l'autre bout de l'échiquier politique , longtemps représenté comme un "outsider" par la famille politique classique, les propositions de Marine Le Pen attirent une part croissante de français qui rejoignent ses rangs pour une raison plus subtile qu'il n'y paraît : il n'est pas réductible ni au thème de l'immigration ni à la thèse nationaliste mais s'inscrit dans un cadre plus large: généralement ces électeurs constatent une perte progressive de la maîtrise étatique et institutionnelle dans l'espace social où ils vivent où l'on peut y inclure pêle-mêle tous les maux de la société actuelle : violences urbaines, incivismes , immigration excessive, détournements de fonds publiques, richesses ostentatoires de certaines couches sociales et ainsi de suite. Ils espèrent une réhabilitation de la puissance publique pour rétablir l'ordre afin de retrouver une certaine sérénité sociale.
Ces mouvements contradictoires ne sont que le témoignage d'une société qui se transforme profondément. Car le développement technologique des réseaux de communication avec l'utilisation multimédia des Smartphones et des réseaux sociaux n'est pas une avancée neutre dans l'expression du corps social participant aux débats publiques et privées. La société civile s'est appropriée de ces nouveaux outils pour partager et amplifier des opinions jusque-là étouffées et non relayées par les médias institutionnels.
A la lumière de cet apport technologique , il n'est donc plus étonnant de voir se dérouler des soulèvements populaires à travers la planète contre des gouvernements trop dirigistes. Le printemps arabe , les embrasements populaires en Thaïlande , au Venezuela et dernièrement en Ukraine reflètent cette mutation sociale amorcée par un changement de paradigme dans les méthodes de communication : les peuples ne sont plus des consommateurs passifs de l'information officielle relayée par les médias traditionnels (radio, TV) selon un schéma unidirectionnel mais réalisent qu'ils peuvent être également acteurs et producteurs d'informations selon un mode opératoire multidirectionnel.
Cette grille de lecture permet de comprendre les conséquences historiques du moment : on assiste à une multiplication de mouvements et de manifestations aspirant à plus de démocratie dans toutes les parties du monde.
Et pourtant, c'est paradoxalement dans les pays de vieilles traditions démocratiques que les parties d'extrêmes droites ont le vent en poupe que ce soit en Occident ou au Japon par exemple comme si , à la manière d'un pendule, la démocratie réintroduisait un désordre social de plus en plus insupportable pour une partie de la population.
En réalité, ce n'est pas la démocratie proprement dite qui apporte ce désordre social mais les excès du capitalisme néolibéral et libertaire qui viennent parasiter le jeu démocratique.
La dérégulation financière depuis le début des années 80 remet en cause la souveraineté nationale sur de nombreux aspects : Les multinationales s'affranchissent allègrement du droit national au niveau de la fiscalité, récemment encore, des droits de propriétés intellectuelles et culturelles puisque la source d'émission et de réception des informations ne se trouve plus sous la juridiction du sol national mais dans le pays ayant la forme juridique la moins regardante. Les Etats ont de moins en moins de contrôle sur l'émission de leur monnaie, rôle dévolu aux banques centrales autonomes. Les emprunts d'Etat français passent depuis 1974 par de grandes banques commerciales, le plus souvent sous forme de titrisations (les risques sont dilués dans l'ensemble du système financier), qui fixent leurs taux obligataire , les organismes d'audit comme Standard&Poor's et les institutions supranationales comme le FMI possèdent des moyens discrétionnaires sur la gestion administrative du gouvernement. Finalement l'exercice du pouvoir exécutif, législatif et juridique s'amenuise d'années en années au point de devenir à brève échéance le lieu d'intérêts financiers supranationaux aux dépends de l'expression démocratique populaire.
Cette puissance financière extraterritoriale est aussi la conséquence de l'anarchie capitalistique que l'on connaît à prèsent.
Cependant la métamorphose du capitalisme avec son cortège d'innovations techniques continue d'opérer et va s'accélérer dans le temps pour donner un système bien plus singulier, peut -être passant des phases d'instabilités dangereuses à cause de ses bifurcations nombreuses et brutales. L'avènement du numérique va en effet modifier toutes les règles du jeu qui régissent la société actuelle.
En voici seulement deux exemples :
Avec l'internet des objets , le système d'information sera globalisé avec une intégration plus poussée des diverses informations captées ici et la par ces appareils numériques. Des liens d'informations se tisseront entre la voiture , la domotique et l'usager. Plus largement les interconnections entre l'individu et son environnement seront plus nombreuses et plus vastes. Ainsi l'homme de demain sera immergé dans un système d'information intégré à sa ville.
Cette dépendance croissante vis à vis des divers systèmes d'informations proposés va poser des problèmes éthiques et politiques : en effet sachant que nos perceptions cognitives seront modelées selon le type d'interfaces et la nature des informations captées, quelle instance décidera de donner les informations et à qui appartiendra ces interfaces cognitives ? Plus que jamais notre libre-arbitre sera mis en cause malgré l'illusion d'un éventail d'actions individuelles beaucoup plus large qu'auparavant.
D'autre part, avec l'expertise du Big Data, nos décisions ne seront plus vraiment authentiques et humaines mais passeront par des artefacts artificiels bien commodes. Quid de la pensée unique et de l'originalité de pensée individuelle innovante ?
En guise de conclusion, le passage numérique de notre société aura des répercussions économiques et sociales profondes et remettra aussi en cause la place de l'homme au sein de ses créations conceptuelles et artificielles en offrant une représentation du réel dépassant ses perceptions intuitives et cognitives qui ont guidé jusqu'aujourd'hui l'humanité. Le pouvoir ne sera plus l'apanage de l'homme en tant qu'individu mais résultera d'un ensemble plus abstrait de systèmes d'expertise redistribuant les rôles de chaque citoyen participant à cet écosystème artificiel d'un nouveau genre. Ainsi va l'évolution planétaire qui ressemble à s'y méprendre à la description de la mythologie grec Gaïa et aux thèses de James Lovelock, un peu en avance sur son temps.
NB: L'écologiste anglais James Lovelock utilise, dès 1970, le nom et l'image de la déesse mère Gaïa, personnifiant « la Terre comme un être vivant » (titre de son ouvrage fondateur). Selon lui, la Terre est un système intelligent, s'autorégulant, et voulant permettre le développement de la Vie, objectif permis au moyen des lois gaïennes. À sa suite, des courants du New Age revendiquent la notion et développent des théories Gaïa.
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