Conditions de la coopération entre les hommes
Le début du XXI siècle sera marqué par la multiplication des risques systémiques que ce soit dans le domaine de la finance, de l’économie, de l’écologie, de l’évolution démographique, technique etc…
Cette crise systémique est proportionnelle à la multiplication de facteurs exogènes inter-réagissant et endogènes venant de la complexité du système proprement dit.
Elle débouche souvent par un chaos indéterminé c’est à dire non calculable avant de retrouver une certaine stabilité dans son évolution. Une science est dédiée à ce phénomène initié par Henri Poincaré et prendra un nouvel essor dans les années 70 à la faveur de la puissance croissante de l’informatique.
La théorie du chaos traite des systèmes dynamiques rigoureusement déterministes, mais qui présentent un phénomène fondamental d'instabilité appelé « sensibilité aux conditions initiales » qui, modulant une propriété supplémentaire de récurrence, les rend non prédictibles en pratique sur le « long » terme. C’est ce que l’on nomme populairement « l’effet papillon ».
Cette théorie a des répercussions importantes dans la compréhension des sciences en général, dans la sociologie en particulier.
Ce point est important pour comprendre éventuellement les possibilités des champs d’actions possibles offert à l’humanité pour survivre à ce fameux chaos qui selon toute probabilité à des chances de survenir dans les années qui viennent avec toutes les conséquences sociales, politiques et économiques que cela entraine.
J’ai consulté sur le site d’Agora Vox des articles traitants des scénarios possibles de ce point de rupture que l’on appelle communément catastrophe de quelle que nature que ce soit. Ces scénarios plus ou moins perspicaces se confrontent à la difficulté du nombre de paramètres qui rentrent en jeu. Par exemple, une découverte fondamentale en science ou un événement impondérable comme la chute d’une grosse météorite ou l’irruption d’une épidémie infectieuse change complètement la donne dans les scénarios élaborés.
J’en viens au fait que je me pose la question suivante à savoir quelle sera la réaction dominante des hommes dans le contexte d’un chaos possible ? Est ce que le geste de survie sera individualiste ou au contraire donnera un sursaut de solidarité et sous quelle forme il s’exprimera ?
Cette question me taraude l’esprit depuis un moment et déjà partagées par des philosophes et des chercheurs en sociologie, en ethnologie etc…
Une des réponses tentantes est de formaliser les actions possibles d’entités rationnelles et étudier les stratégies émergentes des protagonistes. Cette étude rentre dans le cadre de la théorie des jeux
La théorie des jeux moderne commence avec la publication en 1944 du livre d'Oskar Morgenstern et John von Neumann, « Theory of Games and Economic Behavior ». Elle a été principalement développée dans les années 1950, notamment avec les travaux de John Nash.
Le dilemme du prisonnier est un exemple célèbre de la théorie des jeux caractérisant les situations où deux joueurs auraient intérêt à coopérer, mais où les incitations à trahir l'autre sont si fortes que la coopération n'est jamais sélectionnée par un joueur rationnel individualiste.
Une sous-branche lui est consacrée qui s’appelle Théorie du jeu coopératif qui détermine les conditions initiales pour que s’établissent des coopérations entre des joueurs. Par exemple dans un système fermé limité par une population donnée, on introduit aléatoirement des agents « profiteurs », « des coopérateurs »et des « donnant-donnants » donc des agents avec trois stratégies différentes qui donne système instable ,imprévisible dans son évolution que l’on simule a l’aide de l’informatique sur de gros calculateurs. Il en ressort souvent que la stratégie du « donnant-donnant » est la meilleure façon de survivre dans la plupart des configurations.
Mais peut-on appliquer ce système à l’échelle des populations humaines ? Malheureusement, en dépit de nombreuses tentatives comme la simulation des agents agissant par contrats (est ce qu’il dans mon intérêt de rompre ou pas un contrat entre agents ?), il est tout à fait exclut d’espérer de prévoir les comportements humains dans un contexte général à cause de trop nombreux facteurs qui dépassent franchement les capacités « computationnelles » des ordinateurs d’aujourd’hui et de demain. D’ailleurs comment quantifier l’identité religieuse, le lien culturel d’une communauté, le lien national ou transnational des populations ?
Si on ne peut prévoir l’esprit de coopération dans le domaine formel des mathématiques, on peut essayer d’en avoir une petite idée d’après les découvertes ethnologiques ou d’après les traces historiques.
Les civilisations sont mortelles, mais certaines se sont suicidées, l’histoire humaine en donne quelques exemples. Pour Jared Diamond, il s’agit à chaque fois d’un « suicide écologique ».
Pour de plus en plus d’esprits sérieux, la disparition de l’espèce humaine ou, à tout le moins, la transformation radicale de son rapport à la nature et la réduction drastique de nos niveaux de vie sont devenus des perspectives crédibles. Une bonne moitié de l’humanité, à l’apogée de sa puissance - d’un point de vue technique à tout le moins - serait sur le point de commettre ce qu’il convient d’appeler un suicide écologique - entraînant dans sa chute l’ensemble de ses congénères.
Le caractère un peu irréel de ces perspectives apocalyptiques ne saurait masquer une vérité troublante : un tel effondrement d’une société avancée et intégrée, au sommet de ses capacités techniques s’est déjà produit. À plusieurs reprises dans l’histoire de l’humanité - dans des endroits aussi différents que l’île de Pâques, la péninsule du Yucatan (les Mayas) contemporain ou les fjords du Groenland - des sociétés se sont donné la mort ne laissant derrière elles, au mieux, que les ruines de leur glorieux passé.
À quelles forces ces sociétés ont-elles cédé avant de s’effondrer ? Quelles leçons peut-on tirer de leur échec fatal à les maîtriser ? Dans un ouvrage récent, Jared Diamond a entrepris l’examen minutieux de la séquence d’événements propre à chacun de ces suicides de civilisations . Au cœur de chacune des études de cas conduite par l’auteur, on trouve , et c’est ce qui justifie l’emploi de l’expression « suicide écologique » , parmi les principaux facteurs ayant précipité la fin de ces sociétés, une série d’atteintes graves infligées par les hommes à leur environnement, remettant ainsi en cause la pérennité de leurs ressources (déforestation, érosion, surexploitation des ressources halieutiques, etc.). Ainsi, le dimanche de Pâques de l’année 1722, lors de son arrivée sur l’île de Rapa Nui , le navigateur hollandais Jakob Roggeveen, ne dénombra qu’une dizaine d’arbres alors même qu’il a été établi qu’une dense végétation recouvrait la surface de l’île au moins jusqu’à l’arrivée de ses premiers habitants en l’an 900. Dans l’intervalle, plusieurs dizaines d’espèces végétales et animales indigènes ont été rayées de la carte, entraînant une érosion importante des sols, une baisse des rendements agricoles et une marginalisation de l’activité de chasse. Sans surprise, la population indigène diminua de façon drastique, victime de famines, de révoltes, de la guerre endémique entre les clans condamnés à se disputer les dernières ressources disponibles et du cannibalisme .
Dans la plupart des cas, ces sociétés se sont retrouvées prisonnières du piège malthusien. Ce modèle, remis au gout du jour, après Jared Diamond, par Gregory Clark repose sur trois séries d’hypothèses simples, aux termes desquelles, (1) chaque société est caractérisée par un taux de natalité, déterminé par les usages et coutumes propres à cette société et fonction croissante du niveau de vie, (2) le taux de mortalité de chaque société est une fonction décroissante du niveau de vie de cette société et (3) le niveau de vie moyen au sein de la société évolue en raison inverse de la taille de la population. Ainsi, un choc « technologique » positif - qui induit pour une taille donnée de la population une amélioration du revenu moyen - implique mécaniquement une réduction du taux de mortalité et une hausse du taux de natalité, donc un accroissement de la population. Or, cet accroissement de la population interdit de maintenir le niveau de vie acquis grâce à l’amélioration de la technologie : les conditions économiques moyennes se dégradent inexorablement induisant une hausse de la mortalité et une baisse de la natalité jusqu’à ce que la population se stabilise à un niveau où le revenu moyen retourne à son niveau de longue période.
En pratique, le choc initial sur les conditions de vie n’a pas besoin d’être à proprement parler « technologique » : il peut s’agir de la découverte de nouvelles terres, d’un changement climatique favorable, du développement de nouvelles relations commerciales. Le point important est que la nécessité de faire face à la croissance de la population induite par cette amélioration des conditions économiques se heurte à des rendements décroissants que les intéressés ne parviennent à différer qu’en mettant en œuvre des pratiques insoutenables compte tenu des caractéristiques de leur environnement. Les dommages qui en résultent (érosion des sols, salinisation, extinction de certaines espèces, etc.) conduisent à des famines, des mouvements de population, des révoltes contre le pouvoir en place et in fine, à l’effondrement de la civilisation en cause.
Aussi implacable qu’apparaisse l’enchaînement des causes et des effets - ainsi envisagé au niveau théorique -, l’histoire nous enseigne qu’il n’a rien d’inexorable. En particulier, le facteur clé d’échec ou de succès réside dans la capacité - ou l’incapacité - des sociétés à prendre conscience et répondre de façon adéquate aux défis environnementaux auxquels elles sont confrontées. Pour reprendre la formule de Jared Diamond : de quoi pouvaient bien s’entretenir les habitants de l’île de Pâques au moment où ils abattaient le dernier arbre de leur île ? Comment rendre compte de la cécité qui, de façon rétrospective, semble avoir saisi des populations entières détruisant avec application leurs dernières ressources ?
La réponse à cette question semble devoir être recherchée, après la contribution séminale de l’économiste William Foster Lloyd en 1833 , dans la livraison du 13 décembre 1968 de la revue Science : l’environnementaliste Garett Hardin y fait paraître un article dont le titre fera florès, « La tragédie des biens communs » . Le théâtre de cette tragédie est un pré communal où paissent les bêtes appartenant à différents propriétaires. Chacun des éleveurs cherche à maximiser son profit et a donc intérêt, au niveau individuel, à faire paître le plus grand nombre possible de ses bêtes sur le pâturage, puisque les gains liés à l’adjonction d’une bête supplémentaire sont purement privés et excèdent les coûts induits par cette intensification de l’élevage qui sont partagés par tous les éleveurs. Le nœud de la tragédie réside bien entendu dans le fait que chacun des éleveurs suit le même raisonnement, parvient aux mêmes conclusions et adopte la même attitude conduisant inexorablement à la surexploitation du champ communal et, bientôt, au déclin du cheptel. Dans cette configuration, le libre accès à la ressource induit ce que l’on appelle en économie une externalité de production - c’est-à-dire que les coûts sociaux de l’activité excèdent le coût privé supporté par celui qui l’entreprend, de telle sorte que la quantité produite est excessive au regard de l’optimum social.
Le caractère pittoresque de la parabole des biens communs ne doit pas masquer l’universalité du message délivré : l’incapacité des individus à se coordonner alors même que leurs intérêts collectifs devraient les y pousser est au cœur de l’effondrement de nombreuses organisations complexes et menace en permanence la stabilité de nos propres institutions. La sentence est sans appel : bien sûr, « l’enfer, c’est les autres », mais il n’y a pas d’autre issue que de définir avec eux les voies et moyens de faire valoir l’héritage que nous avons reçu.
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