mercredi 14 Décembre 2011
Par François LECLERC
Il y a des calmes qui précédent les tempêtes, et c’est probablement ce que nous sommes en train de connaître. Les lumières du sommet européen éteintes, le monde s’est interrogé sur la réaction des marchés, mais elle se fait attendre. Aucune embellie ne l’a suivi – comme c’était l’habitude avant qu’à chaque fois elle ne retombe – aucune détérioration notable ne l’a marquée.
Du côté des agences de notation, dont la mission est d’anticiper, les nouvelles n’ont cependant pas été gracieuses. Standard & Poor’s n’a pas encore rendu son verdict, très attendu, mais Nicolas Sarkozy a préparé l’opinion publique à la possibilité d’une dégradation de la note de la France. Moody’s n’a pour sa part pas été en reste, maintenant la perspective d’une réappréciation de la notation des pays européens, estimant que les annonces du sommet n’ont offert que « peu de mesures nouvelles », et qu’elles « ne changent pas le point de vue précédemment annoncé de Moody’s selon lequel la crise est à une étape critique et volatile ».
Du côté des marchés, rien de significatif n’est venu éclaircir leur réponse : ni l’évolution des taux obligataires, qui restent à des niveaux très élevés, ni la réussite toute relative des émissions qui sont intervenues, qui ne présagent pas de l’avenir et ne changent en rien la donne.
Comme prévisible, la création du pare-feu financier destiné à une intervention dans l’urgence rencontre une fois de plus des obstacles imprévus. Le Bundestag et la Bundesbank se renvoient la balle afin de ne pas assumer la responsabilité de la décision de financer le FMI, les représentants CDU au premier ayant beau jeu de se réfugier derrière l’indépendance de la seconde. Les républicains américains tempêtent de leur côté et menacent de tout bloquer au Congrès, en raison de la minorité de blocage des États-Unis au sein du FMI, sur le thème que l’Europe doit se sauver par ses propres moyens. Les juristes tentent pour leur part de trouver un montage faisant porter le risque de l’opération sur les seuls pays européens, dans le but d’en prémunir le FMI lui-même. Dix jours avaient été annoncés comme nécessaires pour clarifier la question, ils sont bien entamés.
Sur ces entrefaites, le FESF (fonds européen de stabilité financière) a réussi à lever sur le marché… 1,9 milliard d’obligations à trois mois. Tandis qu’Angela Merkel vient de réaffirmer son opposition à toute augmentation des fonds dont le futur Mécanisme européen de stabilité (MES) devrait être doté (500 milliards d’euros), les modalités de sa capitalisation devant encore être établies, impliquant l’apport des pays déjà sous le couperet des marchés.
La vision de l’année à venir de l’OCDE n’est pas des plus optimiste. L’organisation fait état de besoins de refinancement de ses États membres de l’ordre de 10.500 milliards de dollars en 2012, contre 10.400 milliards en 2011, soulignant en particulier le risque que l’Italie et l’Espagne soient coupés du marché. Un montant qui est à rapprocher des besoins de refinancement des établissements bancaires et qui, additionnés, donne toute l’ampleur des difficultés à venir. La dette est énorme, et son simple refinancement ne passe pas sans l’aide en faveur des banques de la BCE, comme on vient de l’apprendre. La question des États restant non résolue.
Une épée de Damoclès supplémentaire est placée sur la tête des banques européennes. L’Autorité bancaire européenne (EBA) a en effet rendu public qu’elles avaient vendu pour 178 milliards d’euros de CDS sur l’Espagne, l’Italie, la Grèce, l’Irlande et le Portugal – qu’il leur faudrait rembourser si les choses tournaient mal – tout en s’étant elles-mêmes prémunies du risque en achetant à d’autres banques, non identifiées, pour 169 milliards d’euros de CDS.
Le marché des CDS est dévoilé dans toute sa complexité et ses ramifications, instrument majeur du risque systémique et de la fragilité du système financier européen. Comment prédire, en effet, la propagation d’un choc s’il devait intervenir ? Car il est aventureux de penser, en comparant les montants globaux des achats et des ventes de CDS, que les gains et les pertes s’annuleraient en cas de malheur, ce qui implique que tous les établissements en cause auraient équilibré ceux-ci dans leurs comptes. Mais les données fournies par l’EBA ne permettent pas d’aller plus loin dans l’analyse…
Tandis que la Fed et la Bank of England lancent les signaux prémonitoires de relances prochaines de leurs programmes d’achats d’obligations d’État, Mark Carney, le gouverneur de la banque centrale du Canada, a dressé un tableau peu alléchant de ce qui attend les Nord-Américains et les Européens. « Les économies avancées ont régulièrement accru leur levier d’endettement durant des dizaines d’années. Mais cette époque est désormais bien révolue. Si la direction du processus est claire, son envergure et sa rapidité ne le sont pas. Celui-ci pourrait être long et ordonné ou abrupt et chaotique. »
Cette période de désendettement pourrait selon lui mener à une déflation et à des défauts de paiement désordonnés, pouvant provoquer « d’importants transferts de richesse et des troubles sociaux ». Le gouverneur a aussi prédit pour l’Europe que « la dure combinaison de l’austérité budgétaire et de l’ajustement structurel nécessaires aura pour conséquences une baisse des salaires, un chômage élevé et un resserrement des conditions du crédit aux entreprises », annonçant des « baisses non négligeables du niveau de vie » dans certains pays. Concluant qu’il faudra au moins cinq ans avant que l’Europe ne retrouve son niveau de richesse d’avant la crise (sans préciser l’évolution de sa répartition).
Alors que les nouvelles qui viennent d’Athènes accréditent l’idée que son sauvetage est en train d’exploser en plein vol, l’ensemble des informations qui sont disponibles convergent vers une simple constatation : lentement mais surement les pays européens continuent de s’enfoncer dans la crise.
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